« L’héraldique, c’est la science des blasons » nous dit largement l’historien de l’art Thierry Allard. D’après les dictionnaires, est dit héraldique ce qui est relatif aux blasons, aux armoiries. L’héraldique est une science consistant à décrire précisément les différentes parties qui composent les armes des familles, des corporations, des villes, des provinces et des nations ; en outre, c’est l’art de représenter ces armes. (encyclopédie Hachette, 2008, volume 9, Mondadori).
Quant à la chevalière, il s’agit d’un anneau dit sigillaire (donc d’une bague) dont la partie supérieure centrale qui accueille la pierre précieuse ou l’inscription est large. En règle générale, sur la chevalière héraldique, cette partie sera appelée le plateau. Ce dernier peut prendre plusieurs formes selon son porteur, ses formes les plus répandues étant l’ovale, le rectangle à bords arrondis ou le coussin.
Enfin, la gravure héraldique en elle-même est l’action de graver un blason : description identifiant son porteur, représentée sur un écu, une armure, une médaille, une bannière ou une chevalière. Sur celle-ci, la gravure sera un dessin soit moulé en relief, soit gravé en intaille, à l’envers en négatif afin de pouvoir servir comme sceau lorsqu’elle sera appliquée sur de la cire.
L’héraldique s’est développé dans l’Europe au Moyen- Age comme moyen d’identification des chevaliers sur le champ de bataille. Les blasons des seigneurs pour lesquels ils se battaient étaient peints sur leurs armures afin de les identifier plus rapidement en cas de guerre. « Ces armoiries décorent l’ensemble de leur équipement et se portent aussi aux doigts, gravées en intailles pour servir de sceau, raconte Harold Mollet, spécialiste des arts décoratifs. Elles sont construites selon les règles de l’héraldique. L’écu, au centre, est découpé en champs, accueillant les charges, décors géométriques, figures naturelles ou imaginaires comme la fleur de lys, la croix et le griffon. Les ornements extérieurs complètent les armes. Chaque titre de noblesse est codifié, chaque fonction au sein de la hiérarchie catholique et militaire se traduit par un ornement différent. »
Lorsque les armoiries étaient portées aux doigts, c’était par le biais de la chevalière héraldique. A partir du XIXème siècle, celle-ci est devenue l’un des plus prestigieux symboles de l’identité et du désir de filiation. Grâce à la chevalière héraldique, un système cohérent d’identification des personnes a pu être mis en place mais elle permettait aussi d’identifier des lignées, le blason se transmettant par héritage selon le degré de parenté dans une famille. Les armoiries étaient donc gravées à la main sur la chevalière par un graveur spécialisé. Ce métier se pratique depuis le XIXème siècle et est maintenant inscrit à l’Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel de France. De plus, ce travail n’a peu ou pas évolué dans le temps, puisqu’il n’est pas réalisable autrement que par la main de l’Homme. La seule chose qui a pu évoluer est la qualité des outils avec lesquels les graveurs travaillent.
Si la législation française autorise le port visible d'un blason, il y a des conditions à respecter concernant les armoiries que vous arborez. Pour commencer, il ne faut pas reproduire de blason déjà existant sans respecter la légitimité du titre nobiliaire car par exemple, l’usage de la couronne sur un blason est réservé à des titres très spécifiques de la Royauté. Ensuite, il y a des conventions sociales à suivre pour porter la chevalière. Généralement, les gravures héraldiques sur chevalières au blason ovale étaient privilégiées pour les dames, et les demoiselles arboraient un blason en forme de losange. En ce qui concerne les hommes, les blasons gravés sur le plateau sont le plus souvent en écu, dont la forme évoque celle du bouclier médiéval. La chevalière héraldique se porte en France à l’annulaire ou à l’auriculaire de la main droite, sauf au sein d’une lignée où l’ainé du nom la portera à l’annulaire gauche.
Vient ensuite la forme du bijou en lui-même. Il convient d’éviter les chevalières trop volumineuses car lourdes et ostentatoires ou trop petites qui rendront la gravure illisible. Dans quel sens la porter ? Si le blason est tourné vers l’extrémité des doigts, vous indiquiez que vous étiez célibataire. Tourné vers la main, vous étiez engagé ou marié. Dans le cas où deux époux ont des armoiries, les deux seraient représentées mais seraient écartelées (soit la moitié du blason de chacun). Si le mari d’une femme n’avait pas d’armes, la femme ne devait plus porter ses armes de jeune fille et enfin, les armes mélangées sont personnelles et ne peuvent donc être transmises en héritage. En ce qui concerne la royauté, l’écu timbré (c’est-à-dire surmonté d’une couronne) se transmet exclusivement de père en fils. Seul l’aîné de la famille pourra porter les armes pleines et timbrées à l’annulaire gauche avec son alliance s’il est marié. Les cadets eux devaient porter leur chevalière à l’auriculaire avec un écu coiffé d’un heaume (casque de cavalerie). Les femmes, à l’exception des reines et des princesses, portent leurs armes sans timbres puisque les titres sont tous militaires, de ce fait, exercés par les hommes.
La chevalière a été remise en avant dans un premier temps dans les années 1990 grâce à de nombreux rappeurs américains : Snoop Dogg, Notorious B.I.G ou Tupac Shakur, qui savaient que la chevalière permettait d’asseoir sa richesse et de montrer son pouvoir dans le monde (car symbole d’aristocratie). Cependant, le fait que des rappeurs s’approprient les codes de la chevalière a fait rentrer l’objet dans la streetculture et de ce fait, les gens ont commencé à s’y intéresser dans un plus grand nombre et la chevalière est devenue un objet dit plus bling bling et ostentatoire qu’elle cherchait à l’être originellement. A partir de cette période, les maisons de mode et de joaillerie se sont lancées dans la création de chevalières, pas forcément héraldiques, mais qui affichaient les logos des marques ou des blasons inventés à la va vite pour représenter une image de marque. C’est ce qu’on a pu voir chez Versace, Tiffany & Co, Tommy Hilfiger, Alexander McQueen ou Vivienne Westwood. Cependant, les chevalières sur leurs sites sont toujours appelées bagues alors que les bijoux reprennent les codes de la chevalière. Est-ce une façon pour les marques de montrer qu’ils n’osent pas s’approprier l’appellation chevalière à proprement parler par respect envers sa signification ou par crainte d’être interpellés par les spécialistes de ce bijou ?
Cette question se pose aisément puisque de nos jours, les créateurs inventent des chevalières qui suivent les codes principaux (formes, matériaux) mais les grossissent, les parent de pierres (tourmalines, diamants, améthystes), et ne sont plus gravées par des maîtres héraldistes. De plus, les chevalières ne sont plus portées à l’annulaire gauche ou à l’auriculaire pour les femmes, mais sont désormais portées à l’index ou au majeur.
Ce qui était autrefois un moyen de montrer son appartenance à une famille ou à un groupe d’individus sert maintenant comme objet de pur esthétisme et la nouvelle génération se l’est réapproprié. La Genération Z et les Millennials aiment beaucoup revenir à un style dit ancien et la chevalière a toujours été considérée comme un objet montrant la richesse de celui qui le porte (en effet, plus récemment, la chevalière a toujours été arborée sur le petit et le grand écran au travers de personnages riches et qui avaient connu le succès dans leur carrière) et nous savons que les médias et la télévision ont de nos jours un énorme impact sur le comportement consumériste des jeunes générations. Malheureusement, le blason et les armoiries importent maintenant peu et de moins en moins de personnes font véritablement attention aux chevalières qu’ils achètent, car ils les trouvent chez des revendeurs de bijoux, dans des boutiques vintages, des friperies. La chevalière a donc perdu de son effet d’appartenance afin de devenir un objet décoratif qui restera peut-être moins étroitement lié à son porteur car il n’y a pas de lien entre l’objet et le porteur à proprement parler ; les armoiries ne correspondant pas à celles de l’acheteur.
La chevalière héraldique est donc un objet ancien qui porte de nombreuses significations et qui n’est pas à arborer de n’importe quelle manière. Cependant, comme on l’a vu auparavant, ses codes restent figés dans le temps mais des nouveautés font leur apparition, reste à savoir si celles-ci feront partie des codes de la chevalière quand on en reparlera dans des dizaines d’années.
Il est désormais possible de graver ses armes sur des pierres fines rares et des pierres précieuses (tourmaline verte, émeraude, saphir) mais la pierre perdra une grande partie de son éclat et de sa valeur car la gravure se fera à l’aveugle sous un filet d’huile continu pour éviter les chocs thermiques. La gravure sur pierres se fera donc pour des personnes qui le désireront vraiment et qui n’auront peut-être pas envie d’un rendu très net et précis, alors est-il encore possible de nommer ceci une chevalière héraldique ?
Enfin, s’il est maintenant normal de voir des familles françaises faire graver leurs armes dans un écu italien, des Anglais porter leur chevalière à la française et inversement, et de voir que les hommes comme les femmes ne portent plus les formes qui leur étaient destinées originellement, c’est que le port de la chevalière s’est démocratisé et est devenu accessible à tous partout dans le monde. Cependant, il faut continuer de faire attention à la qualité lorsqu’on choisit ou qu’on fait fabriquer une chevalière, car une bonne chevalière se reconnaît rapidement. En effet, peu importe où vous trouvez votre bijou, la seule manière qu’il y aura de révéler l’art héraldique et l’habilité du graveur sera par le test de la cire. Si vous coulez de la cire fraîche, que vous estampillez votre chevalière sur celle-ci et que vos armes sont parfaitement lisibles, alors vous avez là une chevalière héraldique de haute qualité et il convient de la garder !